Alors que l'émission Arrêt sur Images risque (pour la deuxième année consécutive) de passer à la trappe, les JT déploient des trésors de pédagogie pour expliquer le fonctionement de la TVA sociale, présentée comme une "TVA anti-délocalisation" selon un joli tour de passe passe sémantique.
Cette mesure relève typiquement d'un choix politique. Dont acte. Les promoteurs et les adversaires de cette mesure ont des arguments, dont je ne souhaite pas ici discuter le fond.
Ce qui me fait bondir, c'est la façon dont les journalistes expliquent le mécanisme. Ce reportage diffusé sur France 2 mardi dernier donne une bonne illustration du procédé.
Convaincant, non ?
La sécurité sociale est renflouée, le coût du travail est allégé, la consommation reprend : tout le monde y gagne. Y compris le consommateur attentif qui aura bien noté que le nouveau prix du pull est de 118,75 Euros au lieu des 119,60 Euros. Allez, même si on arrondit, disons que cela revient au même. Franchement, pourquoi est-ce qu'on n'y avait pas pensé plus tôt ?
Quelques erreurs d'analyse se sont pourtant glissées dans cette infographie didactique.
1) Passons sur le coût du pull à 100 Euros. Bien-sûr, c'est pour l'exemple. Le journaliste n'allait pas commencer à faire des calculs avec un pull à 59,90 Euros : ça complique tout. Finalement, il s'agit peut-être d'un pull en poils de serpent. Ce qui importe, c'est qu'on ait l'impression qu'il s'agit d'un vrai pull à 100 Euros, comme celui que vous et moi allons acheter l'automne prochain.
2) D'où la deuxième confusion : la TVA ne s'applique pas sur le coût de production pour le consommateur mais sur le prix de vente, précisément sur le montant hors taxes. Le producteur de pulls ne va pas certainement pas vendre son produit au distributeur à 100 Euros. Et le distributeur va, à son tour, multiplier le prix par deux ou trois. Pour garder les ordres de grandeur utilisés, il faut donc considérer que le prix de vente sera, hors taxes, de 300 à 350 Euros. Sur lesquels s'appliquera la nouvelle TVA augmentée.
3) Troisième anomalie : le coût de revient du nouveau pull est de 95 Euros. C'est très pédagogique : j'augmente la TVA de 5% d'un côté, donc je baisse le coût de revient de 5% de l'autre, sous-entendu, je diminue les charges patronales de 5 points.
Sauf qu'on ne connaît pas la part du salaire dans le coût de production affiché. Si les salaires représentent 70 Euros dans la formation ce coût, cela veut dire que les charges patronales représentent 23 Euros. Pour enlever 5 Euros, il faut donc procéder à une baisse de 22% des charges patronales. Ce n'est plus tout à fait pareil. En présentant des Euros et non des pourcentages, la soustraction avait pourtant l'air simple...
4) Admettons que notre producteur de pulls parvienne malgré tout à résoudre l'équation de France 2. Il va aller voir un distributeur de pulls. Celui-ci va donc acheter le nouveau pull à un coût plus bas, disons 150 Euros HT. Comme le producteur paie 5 Euros de charges en moins, il peut même le vendre 145 Euros HT. D'ailleurs, le distributeur y veillera au moment de la négociation dans sa centrale d'achats.
Le distributeur ajoute sa marge pour le vendre 300 Euros HT. L'application du nouveau taux de TVA renchérit le prix sur l'étiquette de 15 Euros. Comme le distributeur est gentil et qu'il a des concurrents, il trouve que ça fait un peu cher. Il ne va donc répercuter que 12 Euros en expliquant qu'il fait un gros effort sur la TVA sociale pour fidéliser ses clients.
Moralité : le consommateur va payer son pull avec 12 Euros de TVA en plus (pour l'Etat) et le distributeur aura gagné 2 Euros au passage pour avoir mieux négocié ses prix. Sans compter que les charges sur les salaires de sa caissière et de son chef de rayon auront baissé aussi de 5%.
Qui gagne ?
- Le producteur ? Non. Il aurait même intérêt à continuer à aller en Chine où il peut trouver de la main d'oeuvre 30 fois moins cher qu'en France. L'effet anti-délocalisation, il faudra sans doute en reparler dans un autre reportage.
- Le distributeur ? Oui, car il a pu négocier son prix dans de meilleures conditions tout en continuant à payer ses caissières de la même façon bien qu'ayant économisé des charges patronales (y compris, bientôt, sur les heures supplémentaires).
- L'Etat ? Oui, avec 15 Euros de TVA supplémentaire d'un côté, contre 5 Euros d'allègement de charges patronales de l'autre.
- Le consommateur-contribuable ? Non. Son pull aura augmenté de 4% tandis que son salaire restera inchangé. Heureusement, il pourra travailler plus pour gagner plus pour acheter son pull plus cher. Mais c'est déjà une autre histoire.
En tout cas, c'est marrant : ce n'est pas du tout ce que j'avais compris après les explications de France 2.
- Source : Journal de 13 h - 12/06/07, France 2 -