- Dis, papa, tu veux bien nous raconter une histoire pour nous endormir ?
- Ouais, écoutez, les filles : j'ai déjà fait ça toute la journée avec mes collaborateurs, je suis crevé, là...
- Ooooh, s'il te plaaaaît ! On a été crès crès sages, en plus...
- Bon, bon, d'accord. Hum. Il était une fois une grosse compagnie internationale, la Chap Enron & Red, qui voulait négocier un plan social et redéployer les activités de sa filiale française en Europe. Comme elle avait très peur du Grand Besanceloup, elle décida d'abord de consulter trois cabinets de euh... consulting qui furent chargés d'être proactifs. Avec ces trois petits coachings en vue, la compagnie espérait bien y voir plus clair dans ses contes. Elle rencontra ainsi Nifnif SARL (un jeune diplômé parisien très sympa qui venait de monter sa boate), Nouf and Nouf and Co (qui venaient du consulting aussi, mais en région) et l'incontournable Naf & Naf Corp., un des big twenty-three, pas très loin de la position 23 dans le dernier ranking du magazine Audit & Fortune.
Tous trois firent à Chap Enron & Red la même reco : se méfier du Grand Besanceloup qui voudrait - à coup sûr - rentrer dans le capital pour saboter l'affaire de l'intérieur et faire capoter les négos. Chaque cabinet avait quand même une propal dédiée pour réorienter les flux huménist... humanaux..., bref, trouver un autre boulot aux gens. Nifnif suggéra de leur acheter des business models tout prêts sur Internet et de faire un copier/coller pour pas trop se prendre la tête. Nouf and Nouf présenta un powerpoint en couleurs avec l'image d'un canard qui donne un coup de marteau sur un ordinateur pour bien montrer qu'il fallait bien conduire le changement avec les process bien adaptés. Le slide-show fut très applaudi. Enfin, Naf & Naf Corp dépêcha un se ses meilleurs associés. Ce type devait en effet être très compétent vu qu'il était habillé en Hubeau Goss et qu'il facturait à 2000 Euros jour. Hors frais. Il les fit jouer avec des Post-it en plénière et présenta, à la fin, un business plan qui privilégiait l'axe brick and mortar pour un recyclage des flux huménistiques, là, en Hongrie.
Dès la semaine suivante, le Grand Besanceloup réclama de s'asseoir à la table des négociations et chercha à enfoncer les portes ouvertes de l'open space.
- Oui, euh, voilà, euh, non mais dites donc, dit-il, de très mauvaise foi.
- Vous avez tout à fait raison sur ce point, répondit le Conseil d'Administration, comme un seul homme.
- Ou alors, laissez nous entrer dans votre capital, on fera un peu d'auto-gestion avec vous... Sinon, je vais souffler très fort très fort et votre entreprise se fera bouffer par les Chinois.
Sourires et regards entendus entre les membres du C.A, qui étaient bien briefés sur la question et qui réussirent cette prouesse non verbale du premier coup.
- Mais, entrez donc dans le capital par le haut, cher Monsieur. Hongrois que vous avez tout à fait votre place là-bas, vous aussi.
Et c'est ainsi que le méchant Besanceloup fut muté euh... à Prague, là, ou par là-bas en tout cas, avec un CDI en béton et qu'il est maintenant l'un des meilleurs actionnaires de chez Chap Enron & Red. En tout cas, c'est lui qui fait bouillir la marmite là bas.
Voilà, les filles. Sur ce, bonne nuit. Demain, il faudra se lever tôt : on doit se rendre chez Mère-Grand, à la maison de retraite, pour voir comment va sa bobinette. Faudra pas lui faire peur avec ce genre d'histoires, hein ?
Commentaires