- Papa, eh ben, tu sais, à l'école, eh ben, tu sais ce qu'elle a dit, Jessica ?
- Euh...Non ?
- Eh ben, en plus, elle dit que le Père Noël, il existe même pas.
- C'est dingue, ça. Mais qu'est-ce qu'on vous apprend en cours de marketing, alors ? Je veux dire : bon, vous êtes en CP, d'accord, mais là,.. Elle ne doit pas être informée en temps réel, ta collègue : il faudrait la briefer.
- Oui, mais maîcresse, elle veut pas qu'on se bagarre.
- Bon, bon. Elle a raison... C'est moi qui vais t'expliquer alors. Tu vois, le Père Noël, c'est vraiment une success story, je dirais mondiale. C'est énorme. Voilà un type qu'est parti avec très très peu de moyens, dans une position d'outsider, et qui n'est pas loin d'occuper aujourd'hui le leadership sur son segment. Je suis presque sûr qu'en top of mind, il passe devant son concurrent direct. Tu vois de qui je veux parler ?
- Nan, qui ça ?
- Eh bien, le leader : JC. Au début, c'est JC qui voulait occuper le terrain le 25 décembre pour l'anniversaire de sa crèche. Il avait un positionnement clair : je joue la carte de l'événementiel, la famille recomposée qui roule pas trop sur l'or mais qui veut passer un Noël comme tout le monde. Classe populaire, beau-papa artisan, maman au foyer. On voit bien le coeur de cible. Les mecs de la pub ont dû lui dire : vous avez un bon capital sympathie, votre bouquin se vend bien chez Gutenberg et compagnie, pas trop de concurrents sur les marchés d'Europe et des States. Bon : stratégie de leader, classique.
- Il avait des rennes, JC ?
- Non. Lui, c'était plus cheap : il avait choisi un âne et un boeuf. Le business de JC marche pendant des années. Noël s'installe petit à petit comme une date clé. Tu vois le risque, non ? Ben, si : la trop forte saisonnalité. Du coup, ils ont rajouté les Rois Mages, Mardi Gras, Pâques, le 15 août et euh... Halloween. A mon avis, c'est comme ça qu'ils se sont un petit peu dispersé et qu'ils n'ont pas vu venir la concurrence s'installer progressivement sur le même créneau.
- Ah, il a un craîneau qui vole, JC ?
- Ouh, là, non : c'est plus compliqué que ça, lui, pffuit, il monte à l'Ascension. Bon, mais venons en au Père Noël. Au début, c'était un simple VRP, un dénommé Nikolaus, qui bossait en Allemagne pour son saint-siège social à Rome. Bien entendu, pas de clause d'exclusivité ou de non-concurrence dans son contrat. Il s'est dit : Santa Klaus, tu dois pouvoir en profiter.
Petit à petit, il recycle un par un les concepts de JC tout en restant dans sa position de challenger : je m'achète un âne et j'apprends à cheminer 7 jours sur 7. C'est normal, au début, son business model n'était pas très clair. Il récupérait surtout des carottes pour son âne, des gâteaux et du vin chaud. C'est comme ça qu'il eût l'idée, un jour, d'ouvrir un marché pour sa fête, quinze jours avant Noël. Et là, il signe un gros contrat de sponsoring avec les couleurs de Coca-Cola qu'il adopte sur son manteau. Avec son look "barbe à papa" mais qui fait du sport outdoor, il assume un positionnement très tendance, ce qui génère pas mal de rédactionnel. En gros, personne ne veut vraiment lui ressembler mais tout le monde le trouve sympa. Sa deuxième idée géniale, c'est la logistique. Il sous-traite tous les bons de commande et le process achat à un réseau de distributeurs qui assurent aussi la livraison just in time partout dans le monde. Il a juste besoin d'une hotte-line pour contrôler l'affaire et d'un traîneau qui vole en marge arrière pour aller de l'Avent. Voilà comment le Père Noël a su ouvrir des perspectives joyeuses pour tous ceux qui rêvent de cadeaux et de grande distribution. Allez, ma grande, il va être l'heure d'aller au dodo. Et tu diras à ta collègue Jessica que le marchand de sable existe aussi. C'est même un sacré négociant d'histoires à dormir debout.
Craquage, craquage... Tres bien ecrit et tres divertissant!
Rédigé par : cedric | 25 novembre 2005 à 00:10
Super ! Bientôt une étude de marché commanditée par St Pierre : quelle politique de RP pour faire évoluer les mentalités vers le choix de l'enfer, puisqu'on prévoit une saturation de l'offre sur le marché du paradis aux environs n+4 ?
Rédigé par : François Narolles | 25 novembre 2005 à 16:06
Coucou,
Me voici reconnectée, mais l'inspiration a oublié de revenir avec la tonalité sur ma ligne ! Cependant une chose que je peux dire : ce billet est délicieusement atroce ! ;-)
J'attends le prochain avec impatience.
Rédigé par : Annie | 26 novembre 2005 à 18:59
Horriblement réaliste !! Et oui, y a t'il encore une place pour le rêve ?? du moins, non calculé ni pensé ...
Rédigé par : Marc | 08 décembre 2005 à 10:51